La campagne s'est déroulée du 31 décembre 95 au 12 février 96. Les membres de la mission étaient: Hélène Cuvigny (papyrologue, chef de chantier), Jean-Pierre Brun, Jacques Bérato, Claude Blanc, Michel Reddé, Marie-Agnès Matelly (archéologues), Adam Bülow-Jacobsen, Jean-Luc Fournet (papyrologues), Patrick Deleuze et Nelly Martin (topographes), Mohammed Ibrahim Mohammed (photographe), Khaled Zaza (dessinateur). La mission était accompagnée des inspecteurs délégués par le Conseil supérieur des Antiquités de l'Égypte, messieurs Abd-el-Rigal Abu Bakr et Maher Moafik.
En 1994 et 1995, le fortin d'Al-Zarqa' (Maximianon dans l'antiquité) avait été presque intégralement fouillé, tant en ce qui concerne le fort lui-même que le dépotoir extérieur. Ces recherches avaient montré que le praesidium actuellement visible avait succédé à une installation de type militaire partiellement préservée sous le dépotoir. Cette première installation pourrait dater de la seconde moitié du Ier s. de l'ère chr. tandis que le fort lui-même serait attribuable au IIe. Ces données chronologiques restaient toutefois imprécises faute d'ensembles de comparaison publiés et de lacunes dans la compréhension de la mise en place du système des praesidia jalonnant la route de Koptos à Myos Hormos. Pour lever ces incertitudes et offrir un contexte à Maximianon, il fut décidé de procéder en 1996 à une exploration des autres fortins. Le travail a consisté à dégager les structures essentielles afin de lever des plans précis et à effectuer des sondages destinés à fournir des données chronologiques susceptibles de dater chacun de ces établissements.
Le travail a porté sur six d'entre eux : Qusur al-Banat, Al-Muway, Bi'r al-Hammamat, Al-Hamra', Bi'r Sayyalah, Al-Dawwî. Les deux premiers ont fait l'objet de fouilles plus approfondies. Tous ces fortins ont été relevés au télémètre ; des plans architecturaux et topographiques en contexte en ont été dressés.
M. Reddé a dégagé la porte, les
deux pièces adjacentes et plusieurs pièces
situées le long de la courtine sud et à
l'angle sud-ouest. Un dégagement superficiel
des zones non fouillées a fait apparaître
les murs afin de préciser le plan ; une tranchée
nord-sud dans l'axe de la porte n'a pas révélé
de modification dans la stratigraphie du wadi : ce
praesidium ne comportait pas de puits. Comme à
Maximianon, aucune trace d'écurie n'apparaît
dans le fort.
On connaît désormais par les ostraca le
nom antique du site, Krokodilô (invariable),
écrit le plus souvent Korkodilô. Ce toponyme
a probablement été inspiré aux
fondateurs du praesidium par la forme du rocher aux
inscriptions (BIFAO 95, p. 103-124) qui, vu du nord-est,
évoque un lézard monstrueux.
Les travaux sur Al-Muway ont porté d'une part
sur le fort, d'autre part sur le dépotoir situé
à l'ouest de l'entrée. Le dégagement
du fort a concerné essentiellement l'arase des
structures étant donné l'ensablement
important du site.
L'entrée a été mise au jour. Elle
a été ouverte en perçant la courtine
sud, ce qui implique soit que la porte primitive du
fortin ouvrait au nord (ce que la destruction totale
de la partie nord empêche de vérifier),
soit qu'un changement de projet est intervenu en cours
d'exécution.
C'est à partir de l'ouverture de la porte que
le dépotoir a dû commencer à se
former. Les plus anciens ostraca remontent au règne
de Trajan (peut-être même de Domitien),
ce qui ne date pas le percement de la courtine sud,
car ils ont pu être jetés longtemps après
avoir été écrits lors d'un grand
nettoyage. La porte devait être alors limitée
par des piédroits en grès qui ont été
retrouvés très détériorés
dans l'effondrement des blocs des tours. Ils sont couverts
de marques et de graffiti (arabe, sudarabique, nabatéen).
Une inscription de fondation en grès devait
également exister mais on n'en a trouvé
qu'un fragment de la moulure limitant le champ épigraphique.
Le fort et cet état de la porte semblent avoir
été utilisés durant une bonne
part du IIe siècle.
Dans une troisième phase, après un abandon
marqué par un dépôt sableux, la
porte fut partiellement obturée par un mur fait
de briques de remploi (provenant d'un bain ou d'une
cuisine ?). En avant de ce mur fragile, plutôt
abri que défense, un foyer limité par
quelques briques fut utilisé un certain temps.
Ces aménagements sont clairement reliés
à un niveau d'occupation dont le matériel
céramique est comparable à celui du wadî
al-Fawakhîr et donc datable des V-VIe siècles
de notre ère. L'absence d'amphores LRA 7 plaide
pour une datation précoce dans cette fourchette,
donc pour le Ve siècle.
La courtine a été dégagée
sur les trois côtés subsistants. Très
ensablée, elle est presque totalement conservée
sur le côté ouest. Le chemin de ronde
y est préservé à la hauteur de
2,50 m environ au dessus du sol de l'entrée.
Un parapet, large de 0,85 m devait porter l'élévation
à c. 3,50m. Les angles étaient défendus
par des tours pleines comportant en partie haute une
véritable pièce à laquelle on
pénétrait par une ouverture. Il est donc
probable que les tours présentait une hauteur
plus grande que la courtine.
A l'intérieur du fort, les dégagements
se sont limités à l'arase des casernements
sauf sur trois points :
-la citerne dont la capacité a pu être
calculée : 200.000 l. à l'origine ; un
compartiment construit dans une seconde phase (bassin
de décantation ? réduction des capacités
de stockage ?) pouvait contenir 37.000 l.
-le bâtiment axial, très ruiné,
dont on a pu toutefois mettre au jour le sol dallé.
-l'escalier menant à la tour nord-ouest qui a
livré un four à pain tardif dont la sole
était faite de pointes et d'anses d'amphores
et les élévations en pisé ; cet
aménagement est daté par une cruche dont
on trouve des comparaisons au wadî al-Fawakhîr.
Le dépotoir situé au sud-ouest est très
allongé (au moins 30 m de long). Son état
de conservation est moins bon que celui de Maximianon
car il a été plusieurs fois recouvert
par les flots du wadî. Les matières organiques,
la paille notamment, sont moins bien préservés,
de même que les ostraca fréquemment délavés
ou écaillés. Les dépôts
se sont succédés de la porte en direction
de l'ouest et présentent en général
une pente à 30%. En partie basse, une première
couche (3637) est recouverte de plusieurs nappes de
chaux blanche, matériau qui semble bien provenir
de la construction de la citerne, laquelle n'aurait
été édifiée que dans une
phase 2B par rapport à l'ouverture de la porte
(2A). Les apports successifs de paille, de cendres,
de graviers et de céramique provenant des nettoyages
de casernements sont analogues à ceux de Maximianon.
On note toutefois des différences sensibles
: il n'y a pas ces dépôts massifs d'amphores
quasi complètes qui rythmaient le dépotoir
de Maximianon et les couches de cendres n'ont jamais
la pureté et la puissance de celles de Maximianon,
ce qui tendrait à indiquer que Krokodilô
n'avait pas de thermes dans la phase du IIe siècle
commençant à laquelle appartiennent les
dépôts fouillés dans les carrés
36/46 et 35.
Un sondage a été opéré
plus à l'ouest (carré 33). Il a mis au
jour sous une grosse couche d'amphores et de graviers,
les vestiges de structures obliques par rapport au
fortin. Elles sont bâties en pierres liées
à l'argile et leurs murs ne comprennent qu'un
seul rang de blocs. Il ne peut donc s'agir que de murets
(enclos pour animaux ?). Ces structures sont recouvertes
par des couches de déchets, notamment une épaisse
couche d'amphores et de vaisselle qui rappelle le matériel
de Maximianon : ce niveau pourrait être attribué
au milieu et à la seconde moitié du IIe
siècle.
Les dégagements ont permis d'établir
que l'enceinte était défendue par quatre
tours d'angle circulaires et que la courtine sud fut
renforcée dans une seconde phase par une tour
quadrangulaire. La porte comportait un seuil fait de
grandes dalles de pierre du wadî Hammamat, flanqué
de deux crapaudines. Elle était défendue
par deux tours quadrangulaires incluant de gros blocs
de pierre du wadî Hammamat dont l'un porte une
inscription nabatéenne. Entre les tours, l'entrée
était dallée. Dans un second temps, les
murs des tours limitant le passage furent doublés
par des murets bâtis à l'argile qui pourraient
correspondre à des banquettes. Dans l'effondrement
des parties hautes des tours, les éclats d'une
inscription de fondation en calcaire blanc ont été
trouvés. Elle mentionne un préfet d'Egypte,
mais son nom demeure inconnu.
À l'intérieur du fort, très ensablé,
il a été possible de dégager l'arase
des murs des casernements sur les côtés
nord et ouest. La première pièce située
à droite en entrant dans le fort a été
fouillée. Elle a livré une stratigraphie
très simple : sol de gravier , dallages de pierres
et foyer surmontés d'une couche de paille amenée
par le vent lors de l'abandon de la pièce puis
d'un niveau d'effondrement des murs. Les dallages de
pierres étaient limités par des blocs
posés de chant. Sous le dallage ouest se trouvait
une amphore verticalement enfouie et décolleté
; elle était fermée par une des dalles
(un dispositif semblable a été trouvé
à Qusur al-Banat). Le mobilier trouvé
sur le sol est proche du faciès de Maximianon
et pourrait dater du courant du IIe siècle de
notre ère.
Michel Reddé a dégagé la porte et une partie du bâtiment central. Ce praesidium est beaucoup mieux préservé qu'il ne le laissait supposer à première vue : le chemin de ronde, large de 0,79 m, est encore visible à l'est, à une hauteur d'env. 2,20 m au-dessus du niveau du seuil antique. Comme à Qusur al-Banat, la porte est flanquée de deux tours carrées, ce qu'on ignorait totalement. Le seuil, composé de plusieurs blocs, a été bouché dans un second temps ; le passage derrière la porte est soigneusement dallé. Le petit bâtiment central, placé face à la porte, dans une position identique à ceux de Maximianon et de Krokodilô, a été partiellement dégagé, mais cette fouille n'a pas non plus révélé sa destination (était-il en liaison avec le puits, probable quoique comblé par les crues du wadi ; ou s'agissait-il d'un bureau, hypothèse que nous suggère un des tableaux de service de Maximianon, assignant chaque jour et apparemment pour toute la journée le curator et le tesserarius à la porte du praesidium ?). Quoiqu'il en soit, il a servi ultérieurement de dépotoir et a livré trois ostraca dont un dipinto amphorique avec l'inscription <<hermonthite>>, dont plusieurs exemples ont été trouvés à Maximianon.
Le fortin de Bi'r Sayyalah se présentait à
notre arrivée comme une masse confuse de ruines
antiques et modernes partiellement emportées
par les flots du wadî. Un puits réaménagé
au début du XIXe siècle est encore utilisé
et semble remployer des structures antiques. Les vestiges
du rempart formaient un demi-quadrilatère sans
tour visible.
Les dégagements que nous avons opérés
au cours d'une opération de quatre jours avaient
essentiellement pour but de comprendre la structure
et le type de la fortification, éventuellement
d'apporter des précisions chronologiques. Ces
nettoyages ont montré que, malgré son
état de ruine, le fortin de Bi'r Sayyalah était
susceptible de fournir des indications intéressantes
et même, dans l'avenir, de permettre des dégagements
en profondeur fructueux.
Le rempart présente au moins trois états
nettement visibles. Un premier fortin quadrangulaire
sans véritable tour d'angle mais dont les angles,
arrondis, font légèrement saillie. Un
second état qui voit l'adjonction d'une tour
carrée, à 3,50 m de l'angle nord-est.
Ce second état regroupe en fait deux phases
puisque la tour carrée fut ultérieurement
englobée par un nouveau parement. Un troisième
état marque une réfection totale de l'ensemble
du rempart qui fut englobé dans une nouvelle
enveloppe aux angles arrondis sans tour d'angles mais
avec une sorte d'épaississement formant bastion
au milieu du flanc ouest.
Ce secteur montre d'ailleurs un arasement des ruines
qui était interprété jusqu'ici
comme l'emplacement de la porte. Nos dégagements
montrent qu'il n'en est rien et il faut vraisemblablement
chercher la porte à l'ouest ou au sud, c'est
à dire dans la zone totalement détruite
par le wadî. Un linteau en granit qui pourrait
en provenir se trouve d'ailleurs dans le lit du wadî
au sud du fort.
La cause du principal confortement du rempart (état
3) pourrait résider dans les assauts des flux
torrentiels qui auraient emporté une partie
des courtines et destabilisé les tronçons
nord et est qui présentent des tracés
sinusoïdaux et des parements déversés.
L'enveloppe extérieure aurait alors servi à
stabiliser le rempart et à le régulariser
après une crue.
L'intérieur du fortin, très bouleversé,
comprend des casernements accolés au rempart.
Deux sondages, tentés dans deux d'entre eux,
ont montré une couche d'effondrement très
épaisse ; le sol n'a pas pu être atteint.
Toutefois, les deux casernements possédaient
des sortes de placards aux parois enduites de chaux
qui avaient été comblés avec des
sédiments provenant d'un dépotoir. Le
mobilier, homogène, est quasiment identique
à celui de Maximianon et doit être placé
dans le courant du IIe siècle. Cela est confirmé
d'ailleurs par la vaisselle en verre, une lampe à
volutes à deux becs et une amphore à
huile de Bétique Dressel 20 (type Martin-Kilcher
E). Une dizaine d'ostraca, dont un dipinto <<hermonthite>>.
Aller plus loin dans la compréhension et la
datation des états de la fortification aurait
bien entendu demandé une fouille de plus longue
haleine qui n'était pas au programme. Il aura
suffit de montrer l'intérêt de ce fort
plusieurs fois profondément remanié et
dont la durée d'utilisation a dû être
assez longue, ce qui n'est pas le cas pour Dawwî.
C'est le dernier fort avant Myos Hormos. Il présente
encore un état de conservation remarquable dû
à son faible ensablement. Au centre, puits romain
effondré. L'enceinte est pourvue de tours d'angles
circulaires et les courtines possèdent en leur
milieu des tours semi-circulaires. Le fortin ne compte
que deux rangées de casernements, sur les côtés
sud et ouest. Tout le reste est libre de construction
et il était possible d'accueillir les chevaux
et la caravanes à l'intérieur. Les casernements
présentent sur leur façades des sortes
d'auges formées de dalles dressées qui
semblent bien avoir servi de mangeoires.
Les dégagements, très limités étaient
uniquement destinés à faciliter le lever
du plan. Ils ont surtout concerné l'entrée
qui était défendue par des tours en quart
de cercle d'un type inédit.
Le mobilier mis au jour, très pauvre, comprend
des cruches et des gourdes d'Assouan dont on a trouvé
de grandes quantités à Maximianon (mais
pratiquement aucune à Krokodilô). Là
encore une datation dans le courant du IIe siècle
semble probable. La rareté du matériel,
l'absence de dépotoir plaident pour une occupation
peu intense, peut-être de courte durée.
Les ostraca grecs et latins ont été déchiffrés
par H. Cuvigny, A. Bülow-Jacobsen et J.-L. Fournet.
Les dates qu'ils annoncent (entre l'an 10 et l'an 19
de Trajan, l'an 2 d'Hadrien) situent le matériel
trouvé dans le dépotoir (du moins dans
les carrés orientaux de celui-ci) avant celui
de Zarqa'-Maximianon (les O.Max. n'ont pas livré
de date sinon deux titulatures impériales fragmentaires,
l'une d'Hadrien ou Antonin, l'autre d'un double règne,
donc Marc-Aurèle et Verus au plus tôt).
Comme la céramique, le corpus offre, dans sa
composition, un faciès un peu différent:
O.Max. O.Krok.
nombre total d'ostraca 1545 % 425 %
lettres 746 48,28% 234 55,05 %
dipinti amphoriques 427 27,63% 58 13,6%
listes de gardes 94 6,08% 81 1,88%
latin 170 11% 26 6,11%
scolaire, magique, &c 352 2,26% 2 0,47%
éphémérides 1 0,06% 34 8%
copies de corresp. milit. 0 0% 14 3,29%
Les textes les plus remarquables d'Al-Muwayh
sont (1) les éphémérides, (2)
les copies de correspondance militaire. Ils sont souvent
dans un état très fragmentaire, mais
trois ostraca géants permettent de se faire
une idée précise de ce type de documents
:
(1) les éphémérides : journaux
relatant jour par jour et heure par heure les arrivées
et les sorties de cavaliers porteurs de dépêches
appelées selon les cas epistolai ou diplômata
; ces dépêches émanent souvent
du préfet de Bérénice. Ces éphémérides
nous informent que les deux étapes immédiatement
après Krokodilô sont, dans la direction
de Myos Hormos, Persou et, dans celle de Koptos, Phoinikôn
(dont l'identification avec Al-Laqîtah ne fait
pas de doute). On se souvient que les deux sites les
plus souvent mentionnés dans les O.Max. était
Persou et Simiou, ce qui invite à identifier
Simiou avec Al-Hamra'. Quant à Persou, on sait
par des proscynèmes grecs et démotiques
inscrits dans les carrières du wadî Hammamat
(I.Ko.Ko. 105) et sur les murs de la chapelle de l'an
18 de Tibère édifiée dans le village
qui fait face au Paneion, que cette zone d'exploitation
au moins s'appelait Persou et que le village était
occupé par des carriers et probablement aussi
des militaires (les destinataires des lettres trouvées
sur place et publiées par Fr. Kayser, ZPE 98,
1993, p. 111-156 ; sur Persou, ibid. p. 114-115). Le
nom s'étendait-il au praesidium de Bi'r al-Hammamat
(le seul, qui soit préservé du moins,
entre Krokodilô et Maximianon) ? La mention récurrente
de Phoinikôn dans les O.Krok. implique que le
praesidium de Qusur al-Banat, ne fonctionnait pas à
l'époque comme étape : est-ce à
mettre en relation avec son architecture originale ?
Il y eut malgré tout un moment où Al-Muway
et Qusur al-Banat, ont dû être en fonction
en même temps, puisqu'un des ostraca de Qusur
al-Banat mentionne Krokodilô. À côté
de Persou et de Phoinikôn, deux autres toponymes
apparaissent sporadiquement dans les O.Krok. : Didymoi
(m. pl., <<les Gémeaux>>) et Giza.
Giza n'apparaît (à plusieurs reprises)
que dans un texte, et toujours associé à
Phoinikôn : des lettres arrivent de Persou et
repartent <<vers Phoinikôn et Giza>>.
Si Giza est un praesidium, ce ne peut donc être
qu'une station après Al-Muway dans la direction
de Qîft (Qusur al-Banat ? Al-Matulah ?) ou dans
celle de Bérénice, puisqu'une piste partant
d'Al-MuwayÌ vers le sud permet de rejoindre
la route de Bérénice, en passant devant
le paneion d'Al-Buwayb, ... au niveau du praesidium
Didymè (Khashm al-Menih) : on est donc plutôt
tenté de penser que ce Didymè de l'Itinéraire
Antonin n'est autre que le Didymoi des O.Krok. Cette
identification est d'autant plus séduisante
que Didymoi représente dans ces éphémérides
une troisième direction possible vers ou à
partir d'Al-Muway.
(2) Les copies de correspondance administrative/militaire.
Plusieurs tessons, dont un très grand, portent
des copies, plus ou moins fragmentaires, de lettres
adressées (en grec) aux <<curatores des
praesidia de la route Myshormitique (hodos Mysormitike)>>
par le préfet de Bérénice Artorius
Priscillus (en 109 ou bien en 116, l'année régnale
étant de lecture incertaine). Ce personnage
était déjà connu, à la
fois par une inscription provenant probablement de
Pouzzoles, qui retrace sa carrière (CIL VI 32929
= ILS 2700, cf. Pflaum, Carrières no88) et quatre
papyrus de l'archive d'Apollônios, stratège
de l'Heptakomia. Les lettres les mieux conservées
ont pour objet : des consignes relatives à l'acheminement
du bois pour les constructions navales ; ordre de donner
de l'eau à trois âniers ; ordre d'escorter
des voyageurs et de les amener devant le préfet
à Koptos ; contrôle du transport de blé,
d'orge et de paille. À un autre dossier appartient
la moitié supérieure d'une amphore couverte
de copies de dépêches (diplômata)
rédigés par divers officiers. Cette correspondance
tourne autour de l'attaque, par 60 barbares, du praesidium
de Patkoua le 13 mars 118. Nous en devons le récit
au cavalier Antonius Celer, de la Deuxième
Cohorte des Ituréens, qui prit part à
l'action et fit un rapport circonstancié sous
forme de diplôma adressé à son
supérieur, le centurion Cassius Victor, de la
même unité : les Barbares attaquèrent
à 2 heures de l'après-midi et les soldats
se battirent jusqu'à la tombée de la
nuit (pour reprendre le combat le lendemain matin),
laissant les civils qui vivaient autour du praesidium
se débrouiller pendant la nuit (ce qui semble
tout à fait normal) ; les victimes de ce premier
jour de combat furent un soldat, tué, et une
femme et deux enfants, enlevés (un des enfants
fut finalement exécuté). Les péripéties
du jour suivant sont perdues. La copie du rapport d'Antonius
Celer est communiquée par le centurion Cassius
Victor <<aux préfets, centurions, decurions,
duplicarii et curatores des praesidia la route myshormitique>>
; dans un autre cas, le diplôma de Cassius Victor,
rédigé à l'intention d'un groupe
de destinataires encore plus vaste puisqu'il s'agit
non plus des officiers de la route de Myos Hormos mais
de l'ensemble du désert, est communiqué
sous forme de copie aux seuls curatores de la route
de Myos Hormos par un décurion de l'Aile des
Voconces.
Trois autres préfets de Bérénice, inconnus ceux-là, sont mentionnés dans les O.Krok. : Cassius Taurinus, Cosconius et --tylos (à moins que ce dernier nom, mutilé, soit le cognomen du premier).
Deux lettres de soldats font allusion à la location (misthosis) de femmes, probablement des prostituées. Le scénario est le même, bien qu'il s'agisse d'affaires différentes. Une seule femme est louée (le loyer mensuel s'élève respectivement à 60 et 75 drachmes) mais elle envoyée avec une autre (dont le rôle reste mystérieux) dans le praesidium où elle travaillera. Là, elle aura un protecteur (epitropos), qui paie le prix convenu au propriétaire (kyrios) et veillera à ce qu'on ne la brutalise pas : on peut supposer que ce protecteur tire son bénéfice de la différence entre le prix de la location qu'il a déboursé et celui des passes qu'il empoche. En O.Krok. 227, on est en fin de bail et le kyrios laisse le choix au protecteur : soit il lui renvoie la femme, soit il proroge le bail pour un nouveau mois et paie alors le forfait, soit il place la femme à Didymoi en s'occupant de lui trouver comme protecteur un homme de confiance. Tout se passe comme si certains soldats arrondissaient leurs revenus en prostituant leurs esclaves et en les faisant tourner dans les différents praesidia, sans doute pour stimuler l'intérêt de la clientèle par un renouvellement régulier du produit offert.
1 Encore s'agit-il vraisemblablement de fragments non
raccordables d'une seule grande liste.
2 Le chiffre est gonflé par l'existence de notre
obsédé sexuel graphomane auquel on doit
10 compositions littéraires. Même sans
lui, le pourcentage (1,6 %) reste supérieur
à celui de Krokodilô.