La campagne a eu lieu du 20 décembre 98 au 24 janvier 99. Les membres de la mission étaient : Hélène Cuvigny (papyrologue, chef de chantier), Jean-Pierre Brun, Claude Blanc, Michel Reddé (archéologues), Adam Bülow-Jacobsen (papyrologue), Dominique Cardon, Hero Granger-Taylor (spécialistes des textiles), Martine Leguilloux (archéozoologue), Margareta Tengberg (paléobotaniste), Khaled Zaza (dessinateur), Hassan al-Amir (restaurateur). La mission était accompagnée de messieurs les Inspecteurs Mohammed Khalil et Mohammed Hamid ; elle a aussi hébergé en permanence onze policiers armés en uniforme.
La mission était financée par le Ministère des Affaires étrangères et l'IFAO ; le projet a en outre bénéficié d'un prix Clio et d'un prix de la Fondation Michaela Schiff Giorgini.
Les fouilles ont porté sur l'intérieur du fort (dégagement des casernements méridionaux) et sur le dépotoir situé devant la porte ; plusieurs sondages ont été réalisés dans la nécropole pour tenter de déterminer l'ampleur des destructions.
I. le fort
A. La rangée de casernements au sud (Michel Reddé)
Les deux campagnes de 1998 et 1999 permettent de périodiser comme suit l'évolution des architectures dans le fort de Didymoi :
(1) la construction a lieu antérieurement au milieu du règne de Domitien, comme en fait foi líinscription datée de la préfecture de Mettius Rufus découverte lors de la précédente saison. De cet état ne reste visible, à présent, que la courtine. Des traces de murs très anciens sont encore perceptibles au sein des bâtiments fouillés, mais ils ne constituent plus actuellement un ensemble architectural cohérent. Líanalyse du matériel du dépotoir a permis à J.-P. Brun de proposer pour cette première phase une datation vers le règne de Vespasien.
(2) La construction des deux (?) citernes, en briques cuites, succède à cette première phase, sous la préfecture de Mettius Rufus (88/89-91/92).
(3) Dans les pièces 43-44 est construite une abside, qui confirme líidentification comme aedes signorum proposée par M. Reddé pour ces pièces situées dans l'axe de l'entrée, contre la courtine qui fait face à celle-ci et quíon observe dans plusieurs praesidia du désert Oriental. Une lettre sur ostracon, découverte cette année (inv. 338/307), abonde dans ce sens : c'est une demande de palmes pour orner les principia des empereurs. La mention de plusieurs empereurs nous conduit au plus tôt sous le règne de Marc-Aurèle, peut-être sous celui de Septime Sévère. En tout état de cause, líadjonction díune abside à la chapelle antérieure nous situe au plus tôt vers la fin du second siècle, si líon se réfère à tous les exemples actuellement connus. Cette chronologie globale est cohérente avec la découverte, dans la couche 14302, à un niveau plus tardif díoccupation, díun ostracon quíH. Cuvigny a pu dater de c. 219 (inv. 159), encore que cet artefact ne constitue pas, stricto sensu, un terminus ante quem, car líostracon a pu être déposé assez longtemps après sa rédaction.
(4) À une époque indéterminée a lieu une première grande réfection du fort. Celle-ci se manifeste par des architectures nettement moins soignées, mais qui réutilisent assez souvent des tracés antérieurs et líon peut síinterroger sur sa raison. En effet, subsistent alors différents fragments des maçonneries anciennes, parfois très arasés, parfois préservés encore en élévation, notamment près de la courtine. Pour líessentiel, les reconstructions utilisent des pierres de même nature et de mêmes dimensions que dans la phase díorigine, mais posées avec moins de soin, et elles remploient fréquemment des briques cuites provenant des citernes, qui níétaient donc plus en usage. La réfection ne síapparente donc pas à une simple volonté de restructuration des espaces internes du fort, mais à une nécessité díen reconstruire toute líarchitecture (à la suite díun séisme ?). On ignore si, dans cette phase, les principia fonctionnent encore.
(5) Suit alors une phase de division des espaces existants, avec prolifération de silos (pièces 31, 39, 41, 43), et adjonction de pièces supplémentaires entre la rangée de casernements primitifs et le puits (pièces 29-30, 36-37). On observe en même temps la construction de petits fours et de pétrins (pièces 33 et 39). Certains espaces sont sommairement aménagés et constituent des courettes intérieures, tandis que síinstallent des animaux (pièce 36a notamment). Certaines pièces sont utilisées comme dépotoir (couches 13503 et 13402). La désaffectation, pendant toute cette phase, de la chapelle aux enseignes, est patente, ce qui conduit à síinterroger sur la célébration du culte impérial et donc sur la présence de militaires.
(6) Une phase ultime intervient ensuite, caractérisée par le dépôt généralisé de sédiments importants, qui finissent par recouvrir toutes les pièces, dont certaines sont en cours de ruinification. Ces sédiments contiennent aussi bien des litières díanimaux que des matières organiques usagées (cuirs, tissus), de la vaisselle ou des conteneurs en grand nombre (remarquable concentration de gourdes d'Assouan avec dipinti). La courtine occidentale est alors partiellement ruinée puisque la brèche de líangle sud-ouest est envahie par les dépotoirs.
On ne sait pas, en revanche, à quelle phase rattacher la construction díune poterne, percée dans le rempart oriental et défendue par deux bastions. En tout état de cause, de telles architectures défensives níapparaissent guère avant le dernier tiers du IIIe siècle.
La grande difficulté est de proposer une chronologie absolue pour líensemble de ces phases finales. Un premier examen de la céramique et de la verrerie par J.-P. Brun conduit à proposer une chronologie globale dans le IIIe siècle, cohérente avec les ultimes niveaux du dépotoir extérieur. Cette chronologie était déjà celle que proposait C. Meyer dans le cadre de la mission dirigée par H.T. Wright. Deux ostraca découverts en 1999 autorisent une datation plus précise : líostracon 552/521 mentionne une année régnale 16, ce qui conduit soit en 208 soit en 269. Líostracon 478/547 doit être en revanche daté de 215 (année régnale 23). À ceci síajoute un fragment díinscription grecque (inv. 767/652) célébrant un empereur Antonin.
Le contexte de ces différentes trouvailles níest pas aisé à interpréter : toutes proviennent en effet des dépotoirs ultimes du fort, ce qui donne un terminus a quo, mais sans quíon puisse préciser la date de dépôt, qui peut, de surcroît, être secondaire. Une chronologie sévérienne pour le comblement ultime du fort paraît exclue. Si líon retient la proposition, très vraisemblable, díune datation de líabside de la chapelle aux enseignes vers la fin du second siècle, il faut dilater la chronologie pour tenir compte de líensemble des réaménagements observés dans les anciens casernements. La destruction de la chapelle aux enseignes et sa réutilisation comme cellier suppose une absence de líarmée, quíon conçoit mal à líépoque sévérienne. Enfin la construction díune poterne dans la courtine orientale et son flanquement par deux bastions ne peut guère être attribuée à líépoque sévérienne, dans líétat actuel des connaissances. Elle suppose toutefois une préoccupation défensive qui est le fait díune armée. Ces différentes raisons me conduisent à proposer une chronologie longue à líintérieur du IIIe siècle, avec peut-être une phase durant laquelle les militaires étaient absents, avant peut-être de revenir.
B. Sondage contre la courtine nord à l'ouest de la porte (Jean-Pierre Brun)
Un sondage a été effectué contre la courtine nord du rempart, à l'ouest de la porte afin de tenter de trouver un abreuvoir symétrique de celui mis au jour en 1998 à l'est de la porte. Aucune structure de ce type n'a été retrouvée, mais seulement une succession de sols, de couches de passage (nombreux petits tessons et une monnaie de billon de l'an 3 de Claude) et de petits foyers contre le mur. Ces niveaux couvrent tout le IIe siècle et se poursuivent jusque dans la première moitié du IIIe.
II. le dépotoir (carrés 15, 25, 24, 33, 43)
Jean-Pierre Brun
La fouille du dépotoir a permis de compléter les données acquises en 1998 et de recueillir un abondant matériel dans des niveaux bien stratifiés. Il est encore trop tôt pour donner une chronologie raisonnée des dépôts, mais on peut en fixer les grandes lignes.
À la base s'étend une couche de gravier qui correspond certainement aux déblais du creusement du puits. Ces déblais ont surtout été accumulés sur les côtés sud, est et nord-est du fort. Devant la porte, leur accumulation forme une bosse épaisse d'une cinquantaine de centimètres seulement. C'est sur ces déblais primitifs qu'ont été déposées les ordures. Dans un premier temps, à la fin du règne de Vespasien ou au début de celui de Domitien, on a jeté des gravats qui semblent correspondre aux travaux de construction du fort et des casernements (couches de pierres 2544, de chaux 2543), immédiatement suivis de rejets d'amphores et de vaisselle (2542/40, 2442). Certaines des amphores contenaient de la chaux et une grande bassine en terre-cuite des restes de mortier ; elle avait dû servir d'auge à gâcher.
La phase qui suit a vu des nettoyages importants caractérisés par des couches de paille pourrie et de gravier (1452, 1454). Dès cette époque, les occupants du praesidium commencèrent à élever des cochons et construisirent des logettes pour ces animaux sur la bordure nord du dépotoir (1446).
Les dépôts se sont amoncelés dans les carrés 25 et 24 durant tout le règne de Domitien puis, une éminence importante s'étant formée, on rejeta les ordures dans la pente vers le nord. Cette accumulation progressive obligea à exhausser plusieurs fois les logements des cochons (1445 à 1440), alors que les ordures montaient derrière leur mur sud (1431 à 1428).
Une nette coupure intervient alors, avec l'apport d'une couche de gravier d'épaisseur variable (5 à 50 cm) et présente dans les carrés 13, 14, 23, 24 et au-delà vers l'ouest, soit sur plus de 100 m2. Selon les secteurs elle est placée sur des gravats contenant de la chaux et des briques ou immédiatement sous une épaisse couche de chaux pure contenant quelques briques. Nous proposons d'interpréter ces dépôts comme le résultat du creusement des citernes, de la construction des canalisations et des couvertures en briques, de la pose des enduits d'étanchéité. Ce niveau de gravier serait précisément daté de 88-92 è.chr. par l'inscription dédicatoire du magnus laccus trouvée en 1998.
Les dépôts postérieurs ont été surtout étalés dans les carrés 13, 23, 14 et 24, 15 et 25. Vers la fin du règne de Domitien, on a jeté dans la couche 2511, un important amas de tissus, un polochon et une outre en cuir presque intacte. Dans le carré 14, on a abandonné les premières loges à cochons, trop en contrebas désormais et recouvertes par les graviers et les ordures, pour en construire de nouvelles sur le sol 1421-1330. Ces nouvelles loges comportaient également des mangeoires en grès. Dans les carrés 13, 14, 23 et 24, les ordures ont été systématiquement étalées et des sols se sont formés ou ont été aménagés en argile crue. Ces aménagements sont clairement reliés aux loges à cochons et correspondent à une zone tenue relativement horizontale autour de ces constructions. Dans les carrés 15 et 25, les déchets ont été rejetés dans la pente en couches relativement régulières alternant les cendres et la paille. Dans les carrés 33 et 34, une couche de gravats a livré un grand nombre de vases, d'ossements, de tissus et une peinture sur parchemin représentant deux gazelles poursuivies par un chasseur. L'ensemble de ces niveaux est daté du règne de Trajan et du début du règne d'Hadrien et l'on y trouve des ostraca de Philoklès, proxénète et vivandier déjà connu par les ostraca du wâdî al-Fawakhîr et ceux de Krokodilô.
À cette phase succède, sur un remblai de pierres, 0,60 m plus haut, la construction de nouvelles loges à cochons (1408, 1409, 2409). Elles seront à leur tour progressivement envahies par des ordures et il deviendra nécessaire d'en édifier un quatrième ensemble, situé 0,40 m plus haut (1404, 2404, 1305, 2307). Cette phase prise entre le début du règne d'Hadrien et le règne de Marc-Aurèle doit correspondre à l'époque d'Antonin. Il est vraisemblable qu'à cette période, le dépotoir ayant atteint à l'est une hauteur de plus de deux mètres, on a surtout jeté les déchets à l'ouest dans une zone non fouillée (carrés 12 à 42). En tout état de cause, la sédimentation s'arrête alors dans les carrés 15 et 25 et, dans les carrés 33, 34, 43 et 44, s'accumulent alors des niveaux successifs de sable éolien.
Lors de la phase suivante, datable de la seconde moitié du IIe siècle, les dépôts ont été effectués plus près de la porte, essentiellement dans les carrés 44 et 34. On a d'abord déposé des gravats (argile, pierres : 4420), puis d'épaisses couches de cendres (44/3405, 3302, 4308/11) et de la paille (34/4406).
Une ultime phase est marquée par le dépôt d'une couche d'enduits généralement blancs, parfois peints (34/4404, 43/3304/05), puis d'une couche de paille, associé à un matériel globalement datable du début du IIIe siècle. Il pourrait s'agir de gravats et d'ordures apportés depuis l'intérieur du fort à l'occasion des transformations radicales opérées sous les Sévères.
III. Sondages dans la nécropole
Jean-Pierre Brun
La nécropole est située à 400 m environ au nord-est du fort. Elle a été presque totalement pillée à une époque relativement récente : une trentaine de cratères montrent l'emplacement d'autant de tombes à inhumation dont les os ont été extraits. Parmi les os blanchis au soleil, on remarque la présence de fragments d'amphores, de gourdes et de bouteilles en céramique. Afin de vérifier s'il restait des vestiges en place, on a tenté de dégager un cratère. Les dalles de grès des tombes et les ossements d'un homme robuste étaient dispersés dans le sable en désordre. Plusieurs autres sondages ont rencontré des terres stériles, puis une tombe en place. Il s'agissait d'un coffrage de dalles de grès plantées de chant dans le sable, orienté ouest-est. Le squelette, celui d'une femme adulte mature, était placé en décubitus dorsal dans un linceul dont seule la trace avait subsisté sous forme d'une coloration brune. La morte n'avait pas reçu la moindre offrande.
On a dégagé un petit bâtiment en pierres sèches dominant la nécropole au nord-ouest et situé sur un chemin antique, près d'un col. L'édifice mesure 2,25 m de largeur sur 2,50 m de longueur. Il ouvrait vers le sud par un seuil large de 1,20 m. Le sol était formé du rocher aplani. La sédimentation ne comportait que du sable ; alentour, on notait toutefois des fragments d'amphores AE3 ; il semble que l'édifice avait déjà été vidé avant notre dégagement. Il pourrait s'agir d'une chapelle placée sur un passage menant vers Persou.
IV. Les textiles
Dominique Cardon, Hero Granger-Taylor
Si près de 500 fragments ont été étudiés cette année, ils représentent moins du tiers des trouvailles textiles de la saison. Peu avant l'arrivée des spécialistes, un ´nidª de textiles avait en effet été exhumé du dépotoir extérieur. Cette masse comportait plusieurs coussins bourrés de chiffons ; l'examen de ces bourrages a occupé une grande partie du temps de la mission et a livré des trésors inattendus, tel ce chapeau usé et troué, mais dont la forme reste reconnaissable et permet de l'identifier comme un sous-casque. Du point de vue technique, ce document est unique : le tissu est une toile de laine crème, garnie sur les deux face rouge vif, comme sur un tapis ; il est possible que ces touffes aient été à l'origine des boucles, comme on en observe sur de nombreux tissus coptes et sur plusieurs textiles de Maximianon et de Krokodilô. Au niveau des tempes, ces rangées de touffes de laine sont interrompues par une bande tapisserie bleu vif et pourpre dont l'extrémité forme une petite corne, car le plus extraordinaire est que ce chapeau a été tissé en forme. Les fragments d'un autre chapeau, également réalisé dans un tissu à touffes ou boucles de laine sur les deux faces, ont été retrouvés, mais il n'a pas encore été possible d'en restituer la forme. À cette série chapelière s'ajoute une calotte formée de triangles de couleur en tissus divers, réunis à leur sommet par un rond de tissu. Cette découverte a permis d'identifier rétrospectivement un fragment beaucoup plus petit d'une calotte semblable, brodée de jaune et de pourpre, trouvé à Krokodilô.
Cette année a également été celle des découvertes de sous-vêtements, en l'occurrence plusieurs bandes assez longues, plus ou moins complètes, encore très plissées et, pour certaines, souillées, dont il semble qu'elles étaient portées autour de la taille, passées entre les jambes et raccrochées de nouveau autour de la taille. Une recherche iconographique dans les scène de cirque, de supplices et autres occasions où l'on montre des personnages en sous-vêtements s'impose pour confirmer nos hypothèses. Inutile de préciser que les découvertes de ce type n'abondent pas dans les publications de textiles d'époque romaine.
En ce qui concerne les petits fragments, dont importe surtout la technique de fabrication, cette campagne a livré :
ó un corpus varié de tissus à núuds et boucles, complétant celui de Maximianon et de Krokodilô (publication prévue dans Hali) ;
ó nombreux damassés et taquetés : il s'agit des deux types de tissages les plus avancés sous le Haut-Empire. Les damassés seront publiés dans le Bulletin du Centre international d'Étude des textiles anciens (Bull. CIETA) ;
ó un nouveau fragment de toile de laine à décor teint après réserve (publication des précédents dans le Bull. CIETA 75, 1998) ; celui-ci se distingue des précédents (à motifs blancs sur fond bleu) par son décor jaune sur fond orangé.
Les dépotoirs intérieurs, recelant un matériel plus tardif, ont livré, comme on pouvait s'y attendre, des documents trahissant une évolution des modes et des techniques : ainsi, ces fragments de toile de laine très fine s'ornant d'un décor de bandes de tapisserie non plus rectangulaires mais terminées par des pointes triangulaires pourpres, semblables à plusieurs exemples trouvés à Palmyre et à Dura-Europos.
V. Les cuirs
Martine Leguilloux
Les dépotoirs de Didymoi ont livré une remarquable collection d'objets en cuir : éléments de harnachement (sangles taillées dans du cuir très épais), vêtements (notamment une veste présentant des úillets au niveau de la bordure pour permettre la fermeture à l'aide de lien (HC : cf. Martial 14.130 : distique sur la paenula scortea, sorte d'imperméable en cuir qu'on met quand il pleut) et surtout chaussures et outres. Ces dernières vont de la grande outre de plus d'un mètre de long aux petites gourdes de 20 cm, avec de nombreux modèles intermédiaires. De grandes pièces de cuir peint ont été trouvées dans les dépotoirs tardifs à l'intérieur des casernements.
Les chaussures forment un ensemble varié. On y repère trois groupes : sandales, chaussures fermées, bottes. Les modèles pour enfants sont toujours des sandalettes. Certains modèles de chaussures fermées consistent en deux parties : une partie avant englobant les orteils et une partie arrière enserrant le talon ainsi que la partie arrière du pied. Un autre modèle avec une partie avant pointue, avait des bords montants, couvrant l'ensemble du cou-de-pied ; la chaussure s'assujettissait au moyen de lanières passant dans des úillets situés sur les côtés.
Le modèle le plus fréquent de sandales comporte une semelle généralement constituée de deux épaisseurs de cuir dans lesquelles deux trous sont percés pour permettre le passage d'un lien par-dessus le gros orteil. Ces sandales sont généralement rectangulaires. Un autre modèle dispose d'un trou unique pour une lanière qui, remontant sur le cou-de-pied, devait se fixer sur d'autres liens autour de la cheville. Il existe aussi un modèle ovale, présentant une découpe pour le gros orteil et comportant un passant unique dans le cuir de la semelle intérieure pour faire glisser une lanière. Deux passants parallèles dans le talon permettent de fixer des attaches pour lacer la cheville.
Plusieurs exemplaires de sandales à semelles cloutées ont été relevés ; certaines, de petite taille, sont peut-être des modèles féminins. Ces sandales sont formées de plusieurs semelles (parfois jusqu'à cinq) très épaisses, dans lesquelles étaient plantés des clous, parfois de façon aléatoire, parfois alignés dans l'axe de la chaussure.
Au moins trois exemplaires de bottes, malheureusement incomplets, ont été retrouvés. Ces bottes recouvraient l'ensemble du pied et devaient remonter sur le mollet. Aucune trace de laçage n'a été constatée.
L'abondance de chutes de cordonnerie dans plusieurs couches du dépotoir permet d'affirmer la présence d'un cordonnier à Didymoi durant les règnes de Trajan et d'Hadrien. Aucun outil pour travailler le cuir n'a cependant été retrouvé dans le dépotoir, par ailleurs très pauvre en objets de métal. Fait exception une aiguille en fer issue d'un niveau contenant des chutes.
Les réparations de chaussures étaient réalisées à l'aide de cuir prélevé sur des objets inutilisés ou abîmés, comme des outres, peut-être des vêtements (?). Mais les réparations pouvaient aussi être réalisées avec des peaux d'animaux abattus sur le site : moutons, chèvres ou dromadaires. Dans ce cas on n'utilisait plus du cuir (matière tannée), mais des peaux, préparées parfois de manière très sommaire : rapide grattage du derme et rapide séchage. Les semelles en particulier pouvaient encore conserver le derme ou les poils des animaux, surtout lorsqu'il s'agissait des semelles extérieures, celles qui étaient en contact avec le sol.
VI. La faune
Martine Leguilloux
Le dépotoir de Didymoi, riche en matière organique, a livré d'abondants restes osseux. La composition générale des espèces consommées n'offre pas de profond changement avec la faune retrouvée dans les dépotoirs des fortins de Krokodilô et de Maximianon : consommation de jeunes porcs, d'animaux de charge réformés (dromadaires, ânes).
Trois points néanmoins méritent d'être relevés :
(1) La rareté des restes de faune marine, poissons et coquillages, qui s'explique aisément par l'éloignement de la côte. Dans de rares couches, notamment sous le règne de Trajan, des amoncellements d'une dizaine d'huîtres indiquent une consommation occasionnelle de ces coquillages.
(2) En revanche on mangeait plus fréquemment de la viande de moutons et de chèvres à Didymoi : leurs ossements sont plus nombreux qu'à Krokodilô et Maximianon.
(3) De même la présence de plusieurs ossements de gazelles, de renard et peut-être de hyène semble indiquer qu'on chassait davantage.
VII. La botanique
Margareta Tengberg
Les échantillons étudiés proviennent du dépotoir extérieur et de contextes de natures diverses à líintérieur du praesidium (sols díoccupation, fours, foyers, niveaux díabandon). Ils ont été triés sous une loupe binoculaire afin de séparer les paléosemences, préservées sous forme desséchée ou carbonisée, des sédiments archéologiques.
Les résultats préliminaires concordent en grande partie avec ceux du Mons Claudianus, site romain du désert Oriental ayant déjà fait líobjet díune étude archéobotanique. Tout comme au Mons Claudianus, líessentiel des plantes cultivées identifiées à Khasm el-Menih était apporté sur le site de líextérieur, principalement de la vallée du Nil.
Deux espèces céréalières sont fréquentes : le blé dur (Triticum durum) et líorge vêtue à six rangs (Hordeum vulgare subsp. hexastichum). Tandis que la première était sans doute destinée à la consommation humaine, líorge vêtue semble avoir joué un rôle important surtout dans líalimentation des animaux domestiques. Il en est de même pour les restes de balle de blé et díorge (glumes, glumelles, segments de rachis) retrouvés en grande quantité dans le fort aussi bien que dans le dépotoir. La présence, dans les foyers et les fours du fort, de coprolithes carbonisés, contenant à la fois des grains díorge vêtue et des fragments de balle, témoigne de líutilisation du fumier comme combustible.
Líalimentation humaine comportait, outre les céréales, des légumineuses comme le petit pois (Pisum sativum), le pois chiche (Cicer arietinum) et la lentille (Lens culinaris) ainsi que des légumes, tels líail (Allium sativum) et líoignon (Allium cepa ). Síy ajoutent un certain nombre de taxons fruitiers : palmier-dattier (Phoenix dactylifera), palmier doum (Hyphaene thebaica), olivier (Olea europea), vigne (Vitis vinifera), grenadier (Punica granatum) et jujubier (Ziziphus sp.). La coriandre (Coriandrum sativum) est également attestée.
Quelques uns des taxons identifiés sont caractéristiques du milieu désertique et étaient sans doute exploités localement. Il síagit de deux espèces arbustives, Aerva javanica et Cornulaca monocantha, et de la coloquinthe du désert Citrullus colocynthis.
Une première étude du bois retrouvé sur le site a permis díidentifier des taxons appartenant aux familles suivantes : Leguminosae (cf. Acacia), Tamaricaceae (Tamarix), Palmae (Phoenix dactylifera, Hyphaene thebaica) et Chenopodiaceae.
VIII. La documentation écrite
Hélène Cuvigny, Adam Bülow-Jacobsen
Environ 350 ostraca, essentiellement grecs, ont été enregistrés. Les couches trajaniennes du dépotoir ont livré de la correspondance de l'inévitable Philoklès, dont une lettre confirme de manière éclatante que le proxénétisme faisait partie de ses activités. La même lettre livre des tarifs de location de fille au mois et apporte des éléments nouveaux sur la difficile question des conductores. D'autres figures caractéristiques du désert Oriental ont vu leur dossier s'enrichir : les dekanoi et surtout les monomachoi, sur lesquels H. Cuvigny prépare une étude. Les dépotoirs du IIIe s. ont livré une lettre étonnante dans laquelle un monomachos raconte avoir été expulsé de son praesidium avec ses camarades par une troupe de barbares dirigée par un personnage au nom latin ! Ces couches tardives ont livré plusieurs compositions littéraires, la plupart de la même main, caractérisée par la manie de séparer les mots ou des groupes de mots à grands traits obliques ; à une autre main est dû un hymne à Isis-Aphrodite fragmentaire. Autres notabilia : un secrétaire des chameliers ; le prix de l'encens pratiqué à Compasi ; un petit brûle-parfum en grès avec la signature à l'encre de celui qui l'a taillé, et qui n'est autre que le chef de poste (curator praesidii) ; une série nombreuse de gros bouchons en argile crue avec feuille de vigne à l'intérieur et estampillés à l'extérieur ; ces bouchons devaient être fabriqués et appliqués sur place, comme en témoignent les cachets en grès correspondant au type d'empreinte (rectangle ou s'inscrivent en général trois lettres) qui ont été trouvés en nombre dans le dépotoir.
Nous avons profité de la mission pour revoir et photographier,
en vue de leur (re)publication, les graffiti grecs trouvés par Winkler
aux alentours de Didymoi (paneion d'Al-Buwayb, wâdî
al-Qashsh, halte du wâdî Minayh al-Hîr).